à côté

Plus tout à fait de ce monde

A côté. Je ne suis plus tout à fait dedans, mais plutôt à côté. Pas vraiment au-dessus, ce qui impliquerait une quelconque supériorité, ni en dessous d'ailleurs. Juste à côté.

J'observe. Je m'observe. Je suis plus détaché maintenant. Je n'ai plus les mêmes  aspirations, plus les mêmes attentes. Décalé.

J'avais déjà eu avant la mort de mon fils cette impression d'être sur un rocher, au milieu d'un fleuve ou d'un torrent et de jeter un œil sur ce qui passait à côté. Mais en général c'était fugace, juste une courte pause, comme une suspension dans un mouvement qui reprenait son cours très vite. Là c'est assez différent.

La mort de Nathan nous a projeté dans un autre monde. De nouvelles habitudes à prendre, des bases à reconstruire. Bien sûr on ne repart pas de zéro, mais quand même, on repart de loin et en tâtonnant. Tout va être plus lourd plus pesant, plus hésitant, objet de multiples recalages. Ces recalages induisent un décalage, les repères ont changé, les priorités et les espoirs ont été bouleversés.

Cette énorme anomalie qu'est de perdre son enfant engendre une singularité qui fait que la perception de l'environnement est forcément modifiée. La stratégie du masque, qui consiste à exposer une surface socialement acceptable, s'applique aussi dans l'autre sens. Le masque est équipé d'un prisme au niveau de la perception du monde. C'est un prisme complexe qui altère les couleurs, les sons, les sensations; il avive certains aspects, en estompe d'autres, rend des sons insupportables et en fait ressortir d'autres. Les nouvelles, l'actualité, les grands débats, les engouements, les grands événements, tout ça est devenu comme étranger, au moins lointain. Difficile dans ces conditions de s'impliquer, de s'enthousiasmer pour les même choses que la grande majorité de ceux qui m'entourent.

Paradoxalement, je me sens plus attentif à cet entourage, j'en ai davantage conscience, mais pas pour m'y joindre ou pour participer. Je n'en veux à personne non plus; je ne pense pas avoir de colère ou de rancune: c'est plus une posture d'observateur. Je me dis aussi que derrière ce flux, cette foule, il y a des individus avec des drames, petits ou grand, invisibles. D'autres pères désenfantés, d'autre cœurs déchirés, d'autres sombres destins qui torturent ces âmes, juste là derrière des masques.

Je vois aussi la mort. Oh, je ne la pressens pas ou je n'ai pas de visions, juste que je ne peux plus m'empêcher de me dire que la mort est là, et qu'elle peut frapper quiconque, hors toute logique ou sens. Ces aspects, je ne les avait jamais abordé avant, en tout cas pas sérieusement. C'est devenu un sujet de réflexion récurrent pour moi, forcément. Tous les drames qui arrivent, tous ceux dont nous abreuvent les journaux, résonnent dorénavant différemment. Forcément.

Je constate ce changement en moi, mais j'essaye aussi de lutter, et pour reprendre l'image du fleuve, je pense que je voudrais replonger, être à nouveau dedans. Je ne sais pas si c'est temporaire, réversible. Je ne sais pas si le temps aura une prise sur ça, ou si je dois me forcer, et si oui quand. Enfin je dis que j'essaye de lutter, mais disons qu'actuellement je me dis qu'il serait bien que j'envisage d'essayer de lutter. Avoir repris vite le travail, ne pas toujours décliner les activités que l'on me propose, c'est peut être garder ce fil. Garder le contact, s'accrocher pour ne pas trop se détacher. Puis je me dis aussi que le temps qui me reste à vivre, je ne peux pas le passer assis sur ce rocher et laisser filer les autres bonheurs, les instants de joie. Nathan n'a plus la chance d'être en vie parmi nous pour partager ces instants et nous apporter de la joie. Moi je l'ai ... alors…?

En tout cas jusqu'ici, je suis à côté.

Comments

[lorell]

je viens de lire ton blog viel amis, *continu a ecrire et dis ce que tu ressens, ça soulage!*
(j'ai un peu peur de t'écrire,tu me connais , je suis un peu rustre parfois..)
j'ai pas ton"vecu" sur ce drame, mais j'en ai eu (moindres certes)et je suis egalement "à coté"..(me suis méme inventé un collocataire qui me devisageait dans le mirroir de la salle de bain..)
je me dis souvent que c'est certainement pire ailleur et que de ce fait , je suis censé etre,vivre ou aller pas trop mal...
je sais pas si je peu t'aider en quelque sorte, mais je tente..
enléves ton masque quelques instants,et fais semblant de quitter ton rocher pour te meller a la riviére...méme si c'est du "fake",imagines toi dans le fil du courant avec ce que la vie continue a y amener!
la vie restera tjrs faite de bon et dur moments, reste qu'à ensencer les bons pour qu'ils durs!

de tout coeur avec vous!